Image de couverture
piqsels
Journée d'étude

Le juste et le bien

(Histoire et enjeux d’une distinction morale)

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Centre d’Histoire des Philosophies Modernes de la Sorbonne (ER 1451)
Centre Gramata (UMR Sphère 7219)
Université d'Aix-Marseille
Institut d'Histoire de la Philosophie (IHP)

Organisées par Éric Marquer (UP1), Stéphane Marchand (UP1) et Isabelle Pariente-Butterlin (AMU)

La distinction du juste et du bien est souvent mobilisée, en philosophie contemporaine, dans le cadre des discussions de la thèse de John Rawls (la priorité du juste sur le bien). Pourtant, la distinction du juste et du bien a nourri l’histoire de la philosophie morale depuis l’Antiquité. Ces journées se proposent de revenir sur l’histoire de cette distinction, en se fondant sur une méthode que David Ross avait lui-même mise en œuvre dans son ouvrage The Right and the Good (1930) : la discussion des grandes doctrines morales du passé, quel que soit leur éloignement ou leur proximité dans le temps, se fonde sur l’analyse rigoureuse et la discussion critique des principaux arguments mis en œuvre dans l’examen de questions à la fois classiques et contemporaines : une action juste est-elle toujours bonne et une action bonne est-elle toujours juste ? Un homme bon peut-il parfois accomplir des actes injustes ? Une action injuste est-elle nécessairement une action mauvaise ?

PROGRAMME

Vendredi 08 avril 2022
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Salle 216

Présidente de séance : Isabelle Pariente-Butterlin (Aix-Marseille Université, Lycée Lakanal)

14h-15h30 : Éric Marquer (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne)

Titre : « Les passions ou la loi : l’objet de la philosophie morale selon Hobbes »

La différence établie par Hobbes entre éthique et philosophie morale fournit à première vue des critères relativement clairs pour distinguer le bon et le juste. Bon et mauvais n’étant que des appellations exprimant nos appétits et nos aversions, leur étude semble relever de l’éthique ou science des passions, et non de la philosophie morale, c’est-à-dire de la connaissance des lois de nature immuables et éternelles. Pourtant, la philosophie morale, en montrant que l’ingratitude, l’arrogance ou l’orgueil ne peuvent jamais être légitimes, peut à son tour se définir comme une science du bon et du mauvais. La relation complexe entre éthique et philosophie morale devrait ainsi être examinée de manière précise par ceux qui, comme Ross, discutent les positions de Hobbes.

16h-17h30 : Pierre Goldstein (Université Côte d’Azur)

Titre : « Une action juste est-elle toujours bonne ? Perspectives néo-aristotéliciennes. »

Résumé : Il semble qu’une éthique censée être une « éthique des vertus » doive exclure la distinction proposée par Ross entre le « juste » et le « bien ». Si la justice est une vertu, toute action juste est en cela même une action « bonne ». S’il s’agissait de prendre en compte la « rightness » de l’action conçue comme conformité de l’action à une « règle », on pourrait imaginer qu’une « éthique des vertus » en dénonce le caractère illusoire au nom d’une critique des implications de la notion même de « rightness ». Pourtant, la distinction d’inspiration rossienne, apparaît, d’une manière ou d’une autre, chez plusieurs représentants de « l’éthique des vertus ». La référence à Ross est explicite chez Christine Swanton par exemple. Une distinction semblable est également discrètement présente chez des néo-aristotéliciens tels que Rosalind Hursthouse ou Daniel C. Russell.  Pour eux, il peut arriver qu’une action juste ne soit pas bonne. Je me propose d’identifier certains aspects de la distinction telle qu’on la trouve chez ces théoriciens. Je chercherai à montrer qu’elle n’est pas pertinente à la lumière des réflexions d’Elizabeth Anscombe et de Philippa Foot. J’expliquerai à cette occasion en quoi celles qui sont souvent présentées comme les pionnières de « l’éthique des vertus » contemporaine n’en sont néanmoins pas elles-mêmes, à strictement parler, des représentantes. J’émettrai l’hypothèse selon laquelle ce désaccord pourrait avoir sa source dans leur conception de l’action humaine. Je voudrais ainsi montrer – mais contre « l’éthique des vertus » – en quoi toute action juste est bonne.


Samedi 09 avril 2022
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Salle 216

Président de séance : Stéphane Marchand (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne)

9h00-10h30 Annie Hourcade (U. de Rouen)

Titre : Le rôle de l’indulgence dans l’articulation entre le juste et le bon chez Aristote

Résumé : A la fin du livre V de l’Éthique à Nicomaque, Aristote a recours à un terme spécifique afin de désigner ce qui, tout en étant juste, est plus juste que le juste. De fait, l’équitable (epieikes) est également appelé « bon (agathon) » et « le plus équitable (epieikesteron) » est aussi « le meilleur (beltion) ». Si une articulation peut être ménagée entre le juste et le bon chez Aristote, c’est vraisemblablement au niveau de la réflexion générale sur l’équité qu’il s’agit de la chercher. De fait, si justice et équité sont l’une et l’autre vertueuses et relèvent d’un genre commun, l’équitable est meilleur que le juste. Ce passage du juste en tant que tel au bon, qu’Aristote effectue de manière subtile et qui s’inscrit, au moins partiellement, dans le cadre d’une forme de mise à distance vis-à-vis de la loi, fait intervenir cette composante de la phronèsis en lien direct avec l’équité qu’est l'indulgence (suggnômè), capacité de juger correctement de ce qui est équitable et qui peut être appréhendée comme une forme de perception à proprement parler morale. Le but de cette communication sera de tenter de mettre en évidence le rôle de l’indulgence dans l’articulation entre le juste et le bon chez Aristote.

10h30-12h00 Christelle Veillard (Université Paris Nanterre)

Titre : Les devoirs prima facie et l'éthique stoïcienne : convergences et divergences

Résumé : L’objectif de cette intervention est d’examiner de quelle manière les devoirs prima facie élaborés par Ross correspondent d’une certaine manière à ce que peuvent dire les stoïciens par leur concept de devoir (kathêkon), défini comme « ce qui possède une justification raisonnable ». L’élaboration, par la rationalité de l’agent, du contenu même du devoir justifie le prolongement nécessaire de l’éthique déontique en une éthique circonstancielle. Nous examinerons notamment comment les différents niveaux de devoirs ont vocation à s’articuler les uns par rapport aux autres, jusqu’à produire une éthique de type casuistique.  

Pause

Président de séance : Christian Bonnet (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne)

14h00-15h30 : Laure Fournier (Académie d’Aix-Marseille)

Titre : Nos devoirs sont-ils justifiables ?

Résumé : On peut lire The Right and the Good comme une recherche sur les justifications premières de ce qui rend morales nos actions. Dans son ouvrage, Ross tente en effet de ne perdre ni les avantages de l’utilitarisme – qui nous montre que, très fréquemment, si l’on doit faire quelque chose, c’est parce que c’est un bien - ni ceux du déontologisme – qui nous montre que parfois au contraire, une action n’est bonne que parce qu’elle est faite par devoir – qu’importent ses conséquences. L’utilitarisme a pour lui de rendre compte de notre souplesse : si clair que soit le devoir de dire la vérité, aucun de nous ne considère sincèrement qu’il faudrait indiquer la cachette de notre ami à celui qui veut l’assassiner. Le déontologisme a pour lui de montrer que tout ne peut se monnayer : on ne peut pas demander quel montant de plaisir espéré m’autoriserait à trahir mes promesses. Ross veut réconcilier nos intuitions que chacun de ces systèmes incompatibles justifie -au prix de la simplicité du système. La nécessité de souplesse comme celle d’intransigeance peuvent s’accorder, dit-il, si l’on comprend que les fondements de la morale sont hybrides : nous saisissons qu’il y a des biens, d’une part ; que nous avons des devoirs, d’autre part. Et l’on ne peut toujours réduire ni les premiers aux seconds, ni les seconds aux premiers. Mais comment découvrir les articulations correctes d’un système qui ne trahisse pas nos intuitions ? Comment démêler ce qui est conséquence de ce qui est principe ?

15h30-17h00 : Isabelle Pariente-Butterlin (Aix-Marseille Université, Lycée Lakanal)

Titre : « Le jeu de l’accomplissement et du devoir : le concept de résidu moral »

Résumé : Il ne va pas de soi que nous soyons obligés à une action quand nous avons une obligation ; mais il faut alors se demander à quoi nous sommes obligés et quel est l’objet de nos obligations. Pour répondre à ces questions, nous devrons d’abord en poser une autre qui demande d’établir quelle est la force d’une obligation et comment elle participe de la situation dans laquelle l’agent l’a contractée, comment elle joue en elle. Le concept de devoir prima facie demandera ici une analyse minutieuse tant Ross semble hésiter à son propos entre au moins deux conceptions différentes. Or clarifier ce point et élucider ce qu’est une obligation prima facie permettra d’envisager la notion de résidu moral et éclairera ce à quoi nous sommes obligés quand nous avons une obligation. L’enjeu de cette analyse étant de faire apparaître le concept de jeu – au sens d’indétermination – dont les concepts pratiques ont besoin pour pouvoir fonctionner.